Situer le village de Deir Istya sur une carte : (à télécharger)
27 octobre 2006
Ben Gourion Airport : souvenirs et retour
Vrombissement des moteurs de l’avion : placage sur le siège. Dernier regard à travers le hublot sur cette poussière d’étoiles oranges qui signale aujourd’hui la présence humaine vue du ciel. De la poussière dans les yeux et dans la gorge aussi, surtout. Fichue poussière qui vous oblige à racler, à cligner pour garder l’air présentable, ne pas baisser pavillon, ne pas lâcher, résister. Garder droite dans sa tête l’image des copains qu’on laisse, debout. Ne pas les diluer à la sauce saumâtre tous ces quelques ceux qu’on laisse dans leur merde. On reviendra, on parlera et on reviendra encore. Même s’il faut subir quatre heures d’interrogatoire, même s’il faut se mettre à poil. C’est si peu à côté du reste. Octobre 2003, Ben Gourion Airport.
Octobre 2006, la même chose, dans l’autre sens. Retour. Couloirs interminables, moquette, marbre, plafonds hauts, rotonde, jets d’eau, véritables boulevards piétonniers, foule, odeur d’eau de javel, pas de papiers par terre, pas d’empreintes sur les murs. Blancheur impeccable, disciplinée. Inox. Silence. Modernité, efficacité, espace. Silence, ordre et discipline. Questionnaire court, précis poli. Pas d’agressivité, plus de fouille, plus de jambes écartées avec un pistolet à la ceinture ni d’yeux Rayban. Professionnalisme.
Ça y est, on est passés, presque sans s’en apercevoir. New Ben Gourion Airport, vitrine tirée à quatre épingles de la « nouvelle Israël ». Octobre 2006.
Entre les deux dates, une baisse spectaculaire de la fréquentation touristique, une commission d’enquête de la Knesset sur la conduite des personnels de sécurité à l’aéroport, sur les infractions à la loi, sur la liste noire.
Jérusalem vieille ville : souvenirs et retour.
Jérusalem soieries, Jérusalem cardamome et encens. Jérusalem musique, foule et commerces. Jérusalem 2003.
Jérusalem cageots, fruits écrasés, pourris, vomis, odeur de pisse et de rance, pavés glissants de crasse, dépôts d’ordure, brûlés ou pas, à tous les coins de rue. Réalité 2006, six heures du matin.
Dégradation palpable à trois ans d’intervalle.
Demain les « territoires »...
J.
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Deir Istiya, samedi 29 octobre 2006
Virée nocturne dans le vieux village avec J. qui nous explique et nous montre les réhabilitations faites depuis une dizaine d’années par l’UJP (Union des jeunes palestiniens) et Rennes et Evry Palestine, financées par le gouvernement français. Frustration de voir que cette réhabilitation est estampillée « avec USAID ». Les Bretons se seraient-ils américanisés ?
Au cours de cette visite, nous remarquons une vieille maison, très belle extérieurement. Aussitôt, les habitants nous invitent a visiter et boire le thé. Discussion très intéressante avec les occupants, malgré la traduction chaotique anglais-arabe. Le maître de maison nous explique qu’il est un des rares à pouvoir encore travailler en Israël, que c’est très difficile,autant que d’obtenir un permis de travail valable trois mois seulement. Les transports étant très complexes, il est obligé de rester la semaine entière en Israël. Il travaille dans le bâtiment et sait apparemment tout faire, maçon, électricien, plombier, plâtrier...
Son neveu, traduisant la conversation, est policier et fait également des études de sciences politiques. La soirée est chaleureuse et émouvante, on sent que le travailleur en Israël a une vie très dure et voudrait parler. Mais il est difficile de traduire, hélas !
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Deir Istya, le lundi 30 octobre
Le matin, nous ne pouvons récolter les olives à cause du sol détrempé. Nous avons décidé la veille de passer à Qalquilya voir le mur et d’aller également à Naplouse.
Zouhair et Maïssara, son fils de 11 ans, nous accompagnent. Il faut dire que Maïssara, comme la plupart des autres enfants, ne va pas à l’école depuis juin dernier. La grève des fonctionnaires inclut les enseignants et dure depuis septembre. Cette situation n¹est pas sans poser problème, aussi bien matériel que sur le fond.
Voyage sans encombre jusqu’à un à deux kilomètres de Naplouse. Check point, changement de taxi service. Dans l’autre sens, une queue importante de jeunes hommes qui prend son mal en patience pour sortir de la ville.
Zouhair, qui connaît Naplouse, nous guide dans la vieille cité, très étendue, avec ses rues étroites bordées d’une multitude d’échoppes en tous genres. Les poulets vivants côtoient les frigos-congélateurs, les mannequins féminins, les torréfacteurs. Les ouvriers d’une fabrique de bonbons nous font visiter et nous en offrent un sachet. Ambiance détendue, ponctuée partout de « Welcome, How are you » lancés par les enfants. La couleur de cheveux, blonde ou rousse de certaines d¹entre nous attire de suite le regard.
Zouhair nous fait entrer dans un bain turc, très typique. Nous pensons gêner, mais non ! On nous laisse visiter sans problème, et avec le sourire.
Nous nous sommes rendus ensuite à la mairie ou nous avons été reçus immédiatement, malgré l’impromptu de la visite. Discussion avec une responsable qui nous présente la ville, les difficultés rencontrées. Naplouse, inclus les camps de réfugiés, comprend environ 170 000 habitants, est la capitale économique de la Palestine. Elle est durement touchée depuis la seconde intifada, et plus encore depuis l’arrêt des subventions européennes. Les habitants ne pouvant plus payer leurs taxes locales, les revenus de la municipalité ont chuté considérablement et celle ci ne peut plus assumer la maintenance des services vitaux. D’après la responsable, la population vit avec une moyenne de deux dollars par jour. Tout le monde est touché. L’espoir est toujours la, malgré une lucidité certaine sur la situation.
Naplouse est spécialisée entre autres dans la production de bonbons et de savons. La responsable qui nous accueille nous présente un architecte qui travaille à la réhabilitation d’un bâtiment familial vieux de quatre siècles, pour l’aménagement d’un centre de développement du patrimoine culturel.
Une expérience intéressante en cours, récupérer les vieilles portes en bois des maisons détruites par l’armée israélienne, les faire décorer par des enfants. Ensuite, envoyer les photos à des écoles de Paris qui de leur coté, font de même avec des vieilles portes parisiennes. La réalisation finale se déclinera par un calendrier artistique 2008 donnant une image de la réalité quotidienne sous occupation israélienne.
Un autre volet consiste à garder une mémoire du savon traditionnel. Il ne reste que 3 savonneries sur 60 à Naplouse. Pour autofinancer le centre, ils envisagent de commercialiser un savon de grande qualité. Notre groupe a acheté une bonne partie de la toute nouvelle production et des contacts sont pris pour envisager une éventuelle commercialisation solidaire avec la France.
Ensuite, direction Qalqilya. Check-point bien installé à la sortie de la ville, file d’attente, tourniquet. Nous percevons l’absurde et l’arbitraire de ce fonctionnement. Un temps d’attente très long pour les jeunes (moins de 30 ans), un passage au compte-goutte, ouverture de certains sacs et pas d’autres, pas de présentation de passeport pour certains d’entre nous, bref, il s’agit surtout de déstabiliser et d’empêcher la population de s’organiser.
Transport par deux véhicules (à cause du nombre) en direction de Qalqilya. Barrage volant ! Ici aussi, l’arbitraire des « gamins-soldats » . Blocage des voitures pendant qu’ils boivent le café, sortie du véhicule d’un seul passager sans raison aucune, etc... Une demie heure d’attente parce que nous étions internationaux, beaucoup plus pour les palestiniens qui faisaient la queue et reprise du périple avec une conduite parfois impressionnante. Comme dit l’un d’entre nous, « le jour ou les palestiniens auront leur liberté, ils seront champions du monde de rallye ».
Qalqilya, visite très, trop rapide car la journée avance avec tous ces contrôles. Nous descendons vers le mur, très impressionnant de hauteur, de longueur, de clôture d’horizon, de miradors tous les deux cents mètres environ. Maigre consolation, des inscriptions en français, espagnol, anglais, dénonçant cette aberration... Et le fait qu’il puisse servir d’urinoir provisoire a quelques internationaux masculins.
Retour rapide sur Deir Istiya, Zouhair semble un peu tendu. Tout se passe bien, nous trouvons deux véhicules et voyage retour de nuit sans encombre.
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30 octobre 2006
Naplouse
Hier il pleuvait à torrent, impossible de cueillir les olives. Aujourd’hui le soleil brille mais nos amis Palestiniens préfèrent attendre un jour de plus avant la cueillette : dans les champs c’est une vraie pataugeoire et puis il paraît que ce n’est pas bon de ramasser les olives mouillées, histoire de qualité. Nous avons donc décidé d’aller visiter Naplouse et Qalqiliya.
Histoire de nous imprégner un peu de l’ambiance de la ville avant d’aller à la mairie, nous flânons dans le souk, guidés par un ami palestinien. Les gens nous demandent d’où nous venons. Quand nous leur répondons que nous sommes français, ils nous répondent immanquablement avec un grand sourire : « Zinedine Zidan, Jacques Chirac, welcome ! »
Brusquement, une vieille femme accroche le bras d’une des volontaires françaises et commence à répéter inlassablement les mêmes mots en arabe en nous montrant deux doigts. « Qu’est-ce qu’elle veut ? Elle veut de l’argent ? » Notre ami palestinien s’approche : « elle vous dit que les soldats ont tué ses deux fils ». Brusquement, la honte nous submerge, les larmes montent aux yeux, certains partent mais la vieille femme s’accroche à un nouveau bras et, de nouveau cette sorte de mélopée d’une tristesse infinie. Je ne vois rien d’autre à faire que de lui embrasser les mains, elle caresse mes cheveux, embrasse mon front en répétant toujours et toujours les mêmes mots. Puis moi aussi, je pars. Elle reste toute seule au milieu de cette ruelle, fragile, comme une toute petite plume et elle répète toujours et toujours les mêmes mots.
Ses yeux qui ne peuvent plus pleurer d’avoir tant pleuré me suivent encore.
Sur la route de Qalqiliya
Nous avons voulu aller voir cette route palestinienne totalement encerclée par le mur de la honte. Pour cela, nous devons sortir de Naplouse, passer le check point (barrage militaire) et prendre un autre taxi de l’autre côté.
Tout le monde fait la queue, les hommes plus que les femmes, d’ailleurs nous n’en verrons pratiquement passer aucun ! Il y a des tourniquets dans lesquels on passe normalement un par un, quand le soldat nous le dit. En fait, du côté des hommes ça ne « tourniquète » pas un poil et du côté des femmes non plus, mais pour une autre raison : ils font passer les femmes, et les occidentaux que nous sommes entre deux structures métalliques, juste sur le côté. Le passage fait moins de 30 cm de large ; pour les jeunes filles de 20 ans qui reviennent de la fac, ça va à peu près mais, pour les dames qui, à force de grossesses successives, ont acquis un certain embonpoint, c’est plus compliqué. Qu’à cela ne tienne : c’est tellement drôle, vu côté soldats !
Notre tour arrive. L’un passe sans même qu’on lui demande ses papiers, une autre se fait embêter alors qu’elle a son visa de tamponné sur son passeport (mise sur le côté, coups de téléphone, questionnement agressif), la suivante, dans la même situation passera sans aucun problème, un troisième qui a demandé à l’aéroport qu’on ne le lui tamponne pas se fera arrêter, l’autre pas. Finalement, tout le monde passe. Cherchez la logique. Enfin, tout le monde passe, pas exactement : les hommes sont toujours bloqués et quand on dit les hommes ... De l’autre côté, une femme palestinienne attend son fils avec une inquiétude manifeste, il doit avoir 14 ou 15 ans ...
Notre groupe est trop nombreux pour pouvoir monter dans un seul taxi, nous partons donc vers Qalqiliya dans deux voitures. Quelques kilomètres plus loin, nous réalisons que, dans la précipitation du départ, l’un de nous est parti avec, dans son sac à dos, le passeport d’une copine qui se trouve dans l’autre voiture.
Brusquement, au détour d’un virage, un barrage volant. Ce sont ces barrages imprévisibles qui, en plus des check-points et terminaux hérissés de miradors, pourrissent la vie des Palestiniens en leur imposant des contrôles incessants et impromptus. Un soldat arrête le taxi, et demande, sans raison apparente, à un des passagers palestiniens de descendre. Il lui contrôle ses papiers, à l’écart, récupère les papiers des autres Palestiniens de la voiture, les regarde, sans les faire descendre, puis fait signe au premier de remonter et à la voiture de partir. Il nous a vus mais ne nous a absolument rien demandé.
Craignant qu’il y ait un problème pour notre amie dont nous avons le passeport, nous lui expliquons la situation. Il le prend alors et nous demande de partir, nous précisant ... qu’il est « impossible pour lui de laisser passer qui que ce soit ... sans contrôler les papiers, pour raison de sécurité ».
Avez-vous lu le Père Ubu ?
J.
Deir Istiya, mardi 31 octobre 2006
Aujourd’hui nous avons formé trois groupes pour la cueillette des olives, répartis dans trois familles par la municipalité qui coordonne le projet : il s’agit d’aller sur des terres proches des colonies et difficilement accessibles pour les paysans en l’absence d’internationaux. Or, faute d’être cultivées régulièrement, ces terres sont réquisitionnées par Israël pour étendre les colonies.
Le groupe de R., S. et M. part à pied du village avant sept heures avec I., son âne, son père, sa femme et ses sept filles. Procession de 20 minutes sur une grande route en portant échelle, bâches, victuailles et bidons d’eau (que c’est lourd !) puis vingt minutes en coupant a travers les champs d’oliviers. Les fermiers préfèrent emprunter ce chemin plutôt que la route qui passe juste au dessous du poste militaire attenant a la colonie de Yaqir. Nous nous arrêtons dans un champ en vue du poste militaire qui nous a certainement repérés. I. nous indique, à cinquante mètres en contrebas, marquée par un bidon, la limite qu’il serait dangereux de franchir et qui déborde largement sur les terres cultivées.
Après deux heures de cueillette et au moment d’une pause repos et repas, nous voyons une trentaine de soldats descendre du camp et se regrouper sur le chemin, à l’aplomb de notre terrasse, à cent cinquante mètres en contrebas. Toute la famille se lève pour les regarder avec une inquiétude manifeste, nous les sentons prêts à partir. En fait les soldats restent sur le chemin puis se livrent à un exercice militaire, pendant plus d’une heure, en remontant sur le versant d’où ils sont venus. Notre présence semble avoir rassuré la famille et, peut être, dissuadé les militaires de venir la chasser. L’après midi nous poursuivons sans problème la cueillette sur une autre parcelle.
Au retour, sur la route des colons, une voiture freine brusquement à la hauteur d’une des familles palestiniennes accompagnée de volontaires. C’est une voiture à plaque israélienne, les occupants interpellent ces derniers pour leur signifier qu’il est interdit de prendre des photos. Comprenant qu’il était inutile de poursuivre une conversation sur une base aussi agressive, les familles poursuivent leur chemin vers le village.
Demain nous retournerons sur les mêmes terres pour finir le travail, ensuite nous changerons de familles : la municipalité souhaite en effet que les internationaux puissent aider le maximum de villageois et sur des terres proches des colonies. Nous irons aussi manger dans ces familles, très pauvres pour la plupart, mais qui veulent absolument nous remercier. Nous sommes à des années lumière de l’image du terroriste palestinien véhiculée par les médias.
3 novembre 2006
Départ De Tel Aviv
Les explications en général fournies par les agences de voyage précisent toujours qu’il faut se présenter deux heures à l’avance à l’aéroport. Partant de Jérusalem, pour un décollage à Tel Aviv à 5 H 30 du matin, nous optons pour la solution qui nous semble la plus pratique : demander à l’hôtel de nous réserver un taxi pour 1 H 45 du matin devant l’office du tourisme (55 NIS par personne, au lieu de 45). Ça nous permet d’aller directement à l’aéroport, au lieu de prendre un premier taxi jusqu’à la station de shirouts de Jérusalem Ouest, puis un second.
Nous arrivons donc très tôt à l’aéroport (2 H 30 au lieu de 3 H 30). Sans perdre de temps, nous nous présentons au contrôle.
Nous sommes trois Françaises, deux femmes de la quarantaine, avec un nom « bien de chez nous » et une jeune de vingt ans dont le père français, d’origine chrétienne libanaise, lui a légué un nom à consonance arabe. G. et moi nous présentons à une jeune femme de la sécurité. Amabilités, questions soft : « où êtes-vous allées ? », « à Jérusalem, à Bethléem », « pourquoi êtes-vous venues ici ? », « pour faire du tourisme et pour visiter les lieux saints ». Nous nous doutons bien que si nous disons que nous sommes allées à Naplouse ou à Hébron, nous sommes parties pour un interrogatoire en règle et quelques petites « tracasseries » ... à plus forte raison si nous disons que nous sommes venues pour une mission de cueillette d’olives ! Pour tenter d’épargner un peu notre poupette, dont c’est de plus le premier voyage en Palestine, nous avons donc opté pour un profil bas. G. et moi tendons nos passeports, ambiance détendue. Puis vient le tour de Y.
Crispation immédiate, la jeune femme va voir un homme un peu en retrait. A partir de ce moment-là, c’est lui qui mène l’interrogatoire, l’ambiance change du tout au tout. « Pourquoi n’êtes-vous restées qu’une semaine ? Pourquoi n’êtes-vous pas allées à Tel Aviv ? ». A Y. : « d’où vient votre nom ? », « de mon père », « quelle origine ? », « libanaise ».
Ensuite débute le grand jeu, initié par la pose d’une étiquette rouge sur tous nos bagages, nous différenciant visiblement des autres voyageurs.
Après le passage normal aux rayons x, nos sacs sont entièrement déballés, la moindre petite culotte, la moindre lanière est passée à la « balayette » censée détecter les explosifs. A côté de moi, un couple de Français, dont le monsieur porte une kippa, n’aura à ouvrir qu’une de ses trois ou quatre valises. La dame a acheté moult crèmes et produits de beauté. Partout il est indiqué qu’il est déconseillé de transporter ce genre de produits mais elle aura juste à répondre à la question : « est-ce que vous les avez achetés ou est-ce que c’est un cadeau ? ». Manifestement, c’est le premier séjour de ce couple en Israël, ils se tournent vers moi, visiblement surpris et agacés de poiroter ainsi et me demandent pourquoi toutes ces complications. Je les rassure en leur disant que c’est la procédure normale et qu’ils pourront certainement rejoindre très rapidement la zone d’embarquement ... mais que pour nous, ça sera sûrement beaucoup plus long et plus compliqué !
L’agent de sécurité qui s’occupe de G. lui intime l’ordre de boire de l’eau de la bouteille qu’elle porte en main. Pour Y., c’est un petit paquet d’épices qui semble poser problème : il fait la taille d’une main mais il finira dans une grande boîte en carton de 60 cm sur 30, avec l’estampille « security » ... et sera transporté comme un colis piégé ... jusque dans la soute !
Etape suivante : cabines intimes avec déshabillage (on a quand même le privilège de garder notre petite culotte et un tee shirt !). A un moment donné, nous nous retrouvons seules dans la même pièce, avec la jeune femme qui me « coache »personnellement depuis le début, mais sur des bancs séparés. Bien qu’appliquant avec « professionnalisme » les consignes de ce dispositif ubuesque, elle l’a fait jusque là avec beaucoup de respect et de gentillesse, ce qui n’est pas le cas des autres et ce qui a déjà conduit Y. à protester contre ce qu’elle ressent comme une humiliation profonde. Nous prenons le parti de rire de cette situation grotesque et discutons entre nous, elle nous offre le café.
Arrive sa supérieure qui, constatant la situation, lui passe visiblement un savon. Pour elle il n’est visiblement pas question de courtoisie : je ne suis qu’une dangereuse ennemie qu’il faut cadrer de très près ! La jeune femme qui s’occupe de moi soupire, lève les yeux au ciel et saisit le détecteur de métaux que sa chef tient en main, lui signifiant visiblement qu’elle va finir le travail elle-même. Coup de gueule manifeste, la chef part.
La braguette de mon pantalon sonne, la jeune femme s’excuse d’être obligée de l’emmener « à l’analyse ». Je lui fais remarquer qu’ils doivent vraiment avoir beaucoup de travail ... avec tous les pantalons de l’aéroport ! Après quelques minutes d’attente, elle revient avec mes basques et m’explique qu’elle va nous accompagner, Yasmine et moi, jusqu’à l’embarquement car ça commence à être vraiment très juste au niveau temps. Nous courons avec elle vers le dernier point de contrôle, elle nous fait passer devant tout le monde, je lui demande si elle n’en a pas ras le bol de son boulot, elle me dit que si ... mais que ça paye bien ! Elle nous souhaite un bon retour, s’excusant encore pour toutes ces tracasseries.
Je la quitte avec le regret de n’avoir pas pu discuter : si nous avons un travail d’explication à mener avec des Israéliens, c’est plus avec des gens comme elle, bien évidemment, qu’avec des colons hystériques et racistes. Mais c’est aussi des gens comme ceux-là qu’il faut responsabiliser : certes ils sont humains mais, dans la situation actuelle, il n’est pas tout à fait suffisant d’être gentil avec des touristes européens...
De son côté, G. sera enquiquinée jusqu’au bout : avant de passer son bagage de soute sur le tapis, elle se penche pour récupérer ses appareils photo (on vient en effet de lui annoncer qu’une grève des bagagistes de Tel Aviv ne nous garantit pas la réception de nos affaires à Roissy). Aussitôt, deux vigiles se précipitent sur elle. Elle explose : « vous avez ausculté toutes mes affaires une par une, vous m’avez dessapée et ça ne vous suffit pas ?! Maintenant, lâchez-moi ou je fais un scandale ! » Toutes les têtes se tournent vers elle, les deux vigiles reculent.
Nous montons dans l’avion. Je pense à mes amis israéliens qui vivent près de Nazareth et qu’une fois de plus je n’ai pas eu le temps d’aller voir. Question de priorité. Quand donc cette situation de m... prendra-t-elle fin ?! Quand donc pourra-t-on enfin parler de cette région comme d’une terre de paix et d’amitié entre les peuples ?
Ce n’est pas une supposée haine initiale entre les peuples qui aurait provoqué la séparation « obligée » et l’occupation mais bien le contraire ! Tout est fait pour qu’aucune rencontre ne soit possible, aucun pont réalisable, aucune connaissance mutuelle, aucune coopération possible. Et le constructeur de ce dispositif implacable autant que suicidaire est celui qui a la force pour lui : Israël. Cette politique, menée par tous les gouvernements successifs, a piétiné les droits fondamentaux des Palestiniens, elle les broie chaque jour davantage dans le silence complice des « grandes » nations. Mais cette politique étouffe aussi les capacités d’humanité de sa propre société. Et elle est une honte pour nos propres pays qui osent se poser en donneurs de leçons en matière de respect des droits de l’homme. Au-delà même du problème israélo-palestinien, notre autisme, mâtiné de bonne conscience, est en train de construire méthodiquement un monde d’injustice, de misère et de haine, une véritable bombe à retardement. Que penseront de nous nos enfants, héritiers de ce monde-là ?
Toi, la jeune fille sympa de l’aéroport de Tel Aviv, j’aurais voulu te dire tout cela, te remercier, certes, pour ta courtoisie mais te rappeler que tu es un maillon de ce dispositif inacceptable (même si tu le fais sans zèle) alors que d’autres jeunes Israéliens le refusent.
J’aurais voulu savoir aussi ce que tu as fait pendant ton service militaire et si tu aurais eu le même sourire fatigué en face d’une voyageuse palestinienne. Mais les Palestiniens n’ont pas le droit de venir dans ton bel aéroport tout neuf, même pas celui d’entrer dans la ville de Jérusalem, même pas celui de vivre avec leur mari ou leur femme parfois, pour peu qu’ils ne soient pas nés au bon endroit pour l’occupant.
Ce soir, tu es sûrement rentrée chez toi en pestant contre ce satané boulot. Tu fais peut-être même partie de la gauche israélienne.
Mais que fais-tu pour changer les choses ?
J.